Pour nombre de nouveaux internes 2024-25, vous allez choisir votre spécialité, votre métier… vous devez lire ce rappel et conseil avant de décider votre avenir professionnel si vous imaginiez faire de la chirurgie. C’est mon conseil après plusieurs années à diriger les programmes de formations des internes de chirurgie de mon service d’urologie au CHU de Nice.
La nature de la charge mentale en chirurgie, de quoi parle-t-on ?
La charge mentale se définit comme la somme des sollicitations cognitives auxquelles un individu est soumis dans l'exercice de ses fonctions. Pour un chirurgien, ces sollicitations sont particulièrement élevées. Entre la gestion des protocoles opératoires complexes, la prise de décisions en temps réel, et la nécessité de maintenir une concentration sans faille pendant des heures, la pression cognitive est immense. Des études montrent que cette charge mentale est exacerbée par l'environnement du bloc opératoire, où la moindre distraction peut avoir des conséquences graves (Gawande, 2012).
Un aspect clé de cette charge est la nécessité de gérer simultanément plusieurs tâches cognitives, telles que la coordination des gestes chirurgicaux, la communication avec l'équipe, et l'anticipation des complications potentielles. Selon une étude publiée dans le Journal of the American College of Surgeons (2018), le multitâche constant et les interruptions fréquentes augmentent significativement la charge mentale, ce qui peut mener à des erreurs de jugement et à une fatigue cognitive accrue.
La perception de la charge mentale par les chirurgiens
Malgré ces évidences, la reconnaissance de la charge mentale chez les chirurgiens est souvent faible. Beaucoup d'entre eux considèrent la pression cognitive comme une composante normale et inévitable de leur métier. Cette perception est alimentée par une culture de la résilience et de la performance, où l'aveu de difficultés mentales ou de fatigue est encore parfois perçu comme un signe de faiblesse.
En conséquence, les chirurgiens eux-mêmes sous-estiment souvent l'impact de cette charge sur leur santé mentale et physique. Une enquête menée par le Collège Royal des Chirurgiens en 2019 a révélé que 45 % des chirurgiens admettent ressentir une fatigue mentale régulière, mais seulement 20 % d'entre eux considèrent cela comme un problème nécessitant une attention particulière.
L'attitude des directions hospitalières
Du côté des directions hospitalières, la charge mentale des chirurgiens est également peu considérée dans l'organisation du travail. Il n’existe d’ailleurs aucune prime ou forfaitisation salariale dans le public pour valoriser cette charge. D’ailleurs, les contraintes budgétaires et la pression pour augmenter la productivité peuvent conduire à minimiser l'importance de la santé mentale des praticiens. Dans de nombreux établissements, les mesures de soutien sont encore rares, et les programmes de prévention du burnout ou de gestion du stress sont souvent insuffisants.
Pourtant, des initiatives ont prouvé leur efficacité. Par exemple, l'intégration de temps de repos obligatoire, de simulations de scénarios complexes pour préparer mentalement les chirurgiens, et de consultations régulières avec des psychologues spécialisés sont des mesures qui ont montré un impact positif sur la réduction de la charge mentale (Shanafelt et al., 2019).
Les conséquences d'une charge mentale non prise en compte
Le manque de reconnaissance de la charge mentale a des conséquences graves. Outre l'augmentation des erreurs médicales, il contribue à une érosion progressive du bien-être des chirurgiens, pouvant mener à un épuisement professionnel, voire à des troubles dépressifs. En France, une étude de 2020 menée par l'Ordre National des Médecins a révélé que 30 % des chirurgiens se sentent « au bord du burnout », un chiffre alarmant qui souligne la nécessité d'une action urgente.
Vers une meilleure prise en compte de la charge mentale… on l’espère
Pour améliorer la situation, il est crucial de changer les mentalités. Cela passe par une sensibilisation accrue des chirurgiens à l'importance de la gestion de leur charge mentale, mais aussi par une prise de conscience au niveau des directions hospitalières. Ces dernières doivent comprendre que la santé mentale des chirurgiens est un facteur clé de la qualité des soins et de la sécurité des patients.
Investir dans des programmes de soutien psychologique, réorganiser le travail pour inclure des pauses régulières, et promouvoir une culture de travail où la santé mentale est valorisée sont des pistes essentielles. L'objectif est de créer un environnement où les chirurgiens peuvent exercer leur métier dans les meilleures conditions possibles, pour eux-mêmes et pour leurs patients.
Au total, la charge mentale des chirurgiens au bloc opératoire est un enjeu majeur, trop souvent relégué au second plan. Pour garantir des soins de qualité et préserver la santé des praticiens, il est indispensable que ce sujet soit davantage pris en compte, tant par les chirurgiens eux-mêmes que par les directions hospitalières. Peut-être, le temps est venu de reconnaître que la résilience a ses limites, et que la santé mentale des chirurgiens est tout aussi précieuse que leur expertise technique. En tout cas, si vous choisissez demain aux EDN votre avenir dans un bloc opératoire… soyez prêt à vivre cette réalité aujourd’hui !
Par Matthieu Durand
Source: What’s Up Doc